Banh chung, culte des ancêtres, salive d’oiseau et shopping : comment j’ai préparé le Têt
Publié le 27 janvier 2017
A la veille du nouvel an chinois, toutes les familles cuisinent le banh chung, le gâteau typique du Têt, dont la préparation nécessite une journée. Rendez-vous chez Diep, une enseignante française qui vit dans un village à Cau Coc, en banlieue de Hanoi.
Carnet de route
Assise sur les marches de la maison de sa mère à Cau Coc, en banlieue de Hanoi, Diep regarde son beau-frère prendre les feuilles de dong, les placer l’une sur l’autre par terre, verser dessus le riz, les haricots moulus et le porc, avant de refermer comme un paquet cadeau ce gâteau que toutes les familles vietnamiennes préparent pour le Têt : le banh chung. « Mon beau-frère est très adroit ! » rigole Diep. Heureusement, car il en fera 50 ce matin !
J’ai rencontré Diep quelques jours auparavant, dans le plus ancien lycée de Hanoi. Cette professeure de français a deux enfants - un garçon de dix ans et une fille de cinq ans – et adore préparer le banhchung avec ses trois sœurs, ses beaux-frères et sa mère. « Cette journée, passée en famille à cuisiner, c’est ma journée préférée pendant le Têt », sourit-elle. Un peu comme en France, à Noël, lorsqu’on fait les toutes dernières courses et qu’on n’attend plus que de recevoir les cadeaux.
Diep et ses enfants. « Je surnomme ma fille Porc-épic et mon fils Pamplemousse. »
Un peu avant, sur la route pour aller chez elle, je me suis arrêtée pour acheter une branche de fleur de pêche, un petit arbuste rose qui fleurit au moment du Têt et que tout le monde transporte sur les scooters. Un peu comme le houx chez nous, en plus poétique : il n’y a pas d’épines. « La couleur rose indique le bonheur », souligne Diep.
Je sais, ne dites rien : j’ai la classe avec ma fleur de pêche.
Observer le culte des ancêtres
J’amène aussi des gâteaux français achetés dans une boulangerie, Mme Hong, à Hanoi. Diep les place tout de suite sur l’autel des anciens, un immense meuble de bois sombre qui occupe presque toute la place dans la pièce principale, sur lequel sont posés de la nourriture, de l’encens, des décorations. Dommage d’acheter des gâteaux super bons pour ne plus les toucher, vous dites-vous peut-être, mais sachez qu’on a le droit de reprendre ce qu’on donne aux ancêtres. Il faut juste le laisser un temps pour eux : ils doivent manger avant nous.
Le culte des ancêtres est vraiment important au Vietnam. Sur cet autel, quatre photos, celles des grands-parents de Diep, mais aussi celle de son père, décédé d’un cancer en 2008, et une photo de son oncle. « Mon oncle est mort il y a une trentaine d’années. Il venait de finir une thèse écrite en russe », commence à raconter Diep devant l’autel des ancêtres sur lequel on peut s’asseoir ou poser des choses « mais jamais dormir ». Beaucoup de Vietnamiens, notamment les anciennes générations, parlent en effet le russe, du fait du rapprochement politique entre le Vietnam d’Hô Chi Minh et l’URSS. « Mon oncle avait des problèmes de cœur, poursuit-elle. Il est mort à l’âge de 36 ans. Sa disparition fut une perte immense pour ma grand-mère, et a marqué toute ma famille. »
Honorer les anciens
La mort fait davantage partie de la vie au Vietnam ; elle y est moins cachée, taboue, refoulée que chez nous. Par exemple, un an après le décès d’une personne, on déterre généralement ses ossements pour les nettoyer. Etrange, non ? « Traumatisant, confirme Diep qui l’a fait pour son père. J’ai nettoyé les os de mon père avec mon beau-frère et mon mari. Les autres personnes regardent, pendant la cérémonie. Un vieux monsieur nous montre les gestes à faire, et surtout il s’occupe de l’étape finale, pour bien replacer les os. Et là, tu te dis : ce ne sont pas des os, ce n’est pas un mort. C’est mon père. » Depuis quelques années, les gens attendent plutôt trois ou quatre ans avant de déterrer les défunts. Avec tout ce que nous mangeons et prenons comme médicaments, les corps sont en effet conservés plus longtemps.
Les Vietnamiens vont au cimetière, une fois par an, à la fin de l’année. Le reste du temps, ils prient beaucoup devant l’autel des ancêtres, que l’on trouve partout, y compris dans les restaurants. Le Têt, c’est avant tout le culte des ancêtres, des gens qui ne sont plus là mais auxquels nous tenons. C’est aussi un moment de retrouvailles en famille. Ce respect des anciens est un élément fort de la culture vietnamienne, que l’on retrouve même dans le langage : vous n’utilisez pas les mêmes mots pour dire « bonjour » si vous le dites à une personne qui plus jeune ou plus vieille que vous par exemple. La religion est peu présente au quotidien, mais le respect des anciens est sacré.
Cuisiner ensemble pour profiter de sa famille
Pour passer du temps ensemble, les gens cuisinent, en préparant le banh chung, donc, un plat à base de riz gluant (vous trouverez la recette complète ici). Regardez les deux vidéos à la fin de l’article !
Pour devenir des professionnels du banh chung, comme Cueng, le beau-frère de Diep, vous devez :
1) Étaler les trois feuilles l’une sur l’autre
2)Verser une couche de riz
3) Verser une couche de haricots (ce sont des haricots jaunes, contrairement à ce que je dis dans la vidéo. Je trouvais en effet étonnant que des haricots verts puissent donner une matière jaune)
4) Mettre deux tranches de viande de porc
5) Recommencer !
6) Refermer les feuilles
7) Attacher le banh chung avec des tiges de bambou.
Les banh chungs sont ensuite attachés deux à deux, avant d’être plongés dans une grande marmite, dans laquelle ils vont cuire pendant 10h00 !
« La légende veut qu’un roi avait trois fils, qui voulaient lui faire un cadeau, raconte Diep pour expliquer l’origine de ce plat. L’un d’eux était pauvre et ne put lui faire qu’un banh chung. C’est un plat d’agriculteurs, avec du riz, du porc, des haricots, des feuilles trouvées dans la forêt. C’est ce que nous sommes, au Vietnam. Des agriculteurs. Nous cultivons le riz. »
Mais les jeunes générations vont de plus en plus travailler en ville. D’où le besoin, aussi, de se retrouver à la campagne, chez les anciens. A la veille du Têt, les bus depuis Hanoi vers les provinces sont pris d’assaut. Le prix des tickets augmente.
Boire de la salive d’oiseau
C’est l’heure de déjeuner. Nous nous asseyons par terre, à côté de l’autel des ancêtres. Des plats sont posés, chacun pioche dedans avec ses baguettes et met ce qu’il veut dans son bol.
Les enfants me tendent une petite canette « Do you want a Sanest ? » Je goûte.
« C’est marrant, dis-je à Diep, il y a comme des petits fruits à l’intérieur. »
« Non, répond-elle, c’est de la salive d’oiseau. » Diep parle très bien le français, mais à ce moment-là, je veux croire à un problème de traduction.
-Quoi ?
-Oui, c’est un oiseau qui vit près de la mer. On collecte sa salive. Là, c’est dilué avec de l’eau, parce que si tu le bois pur, c’est très cher.
Résumons : depuis que je suis au Vietnam, j’ai mangé un petit oisillon, du serpent… ET A PRÉSENT DE LA SALIVE D’OISEAU. Tout le monde boit sa canette de Sanest en moins de 2 minutes. Moi, il m’en faudra 20. Les enfants adorent : Dang, le neveu de Diep âgé de 12 ans, secoue toutes les canettes vides pour voir s’il n’en reste pas un peu.
Chacun se lève quand il a fini de manger, pour vaquer à ses occupations. Ce n’est comme chez nous, lors des longs déjeuners du dimanche où vous devez rester à table.
Jouer les reines du shopping
Après une petite sieste dans un hamac, c’est parti pour une session shopping : qui dit nouvelle année dit nouveaux habits ! Les adultes ont l’habitude d’acheter des habits neufs aux enfants lors du Têt.
Nous partons dans un plus grand village, à 10 minutes de route, où sont vendues des tenues traditionnelles. Je décide de m’en acheter une pour le Têt.
Je n’ai pas pris le chapeau, en revanche. Trop encombrant (mais joli).
Diep a déjà acheté un costume pour ses enfants, comme celui de ce petit garçon.
Elle-même, en tant que professeur, a l’obligation de porter une tenue traditionnelle les lundis et les mercredis. C’est une manière de donner le bon exemple aux élèves, comme l’on mettrait un tailleur chic plutôt qu’un jean chez nous, pour aller au travail. Diep aime bien cette tradition, et n’apprécie pas trop les tenues traditionnelles « modernisées » revisitées en tuniques, à porter au-dessus d’un jean.
Le village où l’on achète les tenues. J’adore ce petit pont !
Les enfants viennent avec nous ; la fille de Diep, que sa maman surnomme « Porc-épic » - ici, tous les enfants ont un surnom – et son fils Viet, appelé « Pamplemousse ». Il y a aussi Dang, qui n’a que 12 ans mais un niveau d’anglais à faire pâlir beaucoup d’adultes français, et l’autre nièce de Diep.
Retourner à la campagne, en famille
Retour à la maison. C’est le moment de faire cuire les banh chung.
=> Regardez la vidéo !
Des voisins arrivent. L’un pour montrer le dernier né, l’autre pour venir jouer avec les enfants. Les petits sont lavés, séchés. Diep rince des herbes, accroupie en tongs devant d’énormes bassines d’eau. Le chat, attaché à une laisse pour ne pas dévorer tous les plats posés par terre, miaule. Les poules caquettent. Des volutes de fumée s’échappent de la marmite, la nuit tombe peu à peu, il fait doux. Je savoure le moment et comprend mieux pourquoi les Vietnamiens aiment tant le Têt, une fête où il ne se passe finalement rien !
La mère de Diep reste assise près du feu. Elle rajoute parfois des bûches, de l’eau, ou bien secoue doucement son petit éventail. Comme elle n’a eu que des filles et qu’elle est à présent veuve, elle vit seule. Au Vietnam, une fois mariées, les femmes vont vivre chez la belle-famille. Il y a parfois des conflits générationnels, reconnaît Diep, mais « c’est bien pratique pour faire garder les enfants ».
« Mon père, lui n’a eu que des filles, me confie-t-elle, alors que nous regardons les enfants jouer. Tout le monde te dira que ce n’est pas grave, que la société évolue. Mais je sais que tous les Vietnamiens veulent un garçon, pour faire perdurer le nom. Nous, nous sommes quatre filles. Notre nom s’arrêtera avec nous. Et ça, même s’il ne l’a jamais dit, je sais que c’est l’un des grands regrets de mon père. »
La nuit tombe, je retourne à Hanoi. Merci, Diep, pour cette belle journée en famille. Je crois avoir saisi un peu de l’esprit du Têt.
Sources photographiques
La maison de la mère de Diep, dans la banlieue ouest de Hanoi, à la campagne.
« Ici, tu es dans une maison traditionnelle », me dit Diep.
« Avant, dans les ruelles du village, il n’y avait personne, se souvient Diep. Aujourd’hui, il y a toujours du monde, et on voit passer des scooters, des vélos. »
Le village de la mère de Diep est situé autour d’un étang, dans lequel on trouve des sacs en plastique, des poissons morts, des déchets. L’eau n’est même plus verte : elle est noire !
Le village de la mère de Diep est situé autour d’un étang, dans lequel on trouve des sacs en plastique, des poissons morts, des déchets. L’eau n’est même plus verte : elle est noire !
C’est une manière de prendre un nouveau départ pour l’année qui s’annonce.
Toutes les générations se réunissent, souvent à la campagne : c’est le principe de cette fête vouée au culte des ancêtres.
Moi, j’en ai profité pour tester de nouvelles coupes sur un petit cobaye, une nièce de Diep. Elle a l’air d’apprécier !
Sources vidéo
Comment préparer le banh chung ? La réponse en une minute trente !
J’ai essayé de faire comme Cueng, le beau-frère de Diep. C’est pas gagné…